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Les pavements gothiques de Saint-Martin d'Hardighem : un trésor médiéval à découvrir à Liévin
Les pavements gothiques de Saint-Martin d'Hardighem : un trésor médiéval à découvrir à Liévin
Les Hauts-de-France s'apprêtent à révéler un pan exceptionnel de leur histoire médiévale. À l'occasion des prochaines Journées européennes du patrimoine 2025, le Centre de conservation du Louvre (CCL) à Liévin ouvrira exceptionnellement ses portes pour dévoiler au public les pavements gothiques restaurés de Saint-Martin d'Hardighem. Cette renaissance, fruit d'une décennie de travail acharné et d'une coopération exemplaire entre de multiples acteurs, met en lumière un chef-d'œuvre architectural d'une ampleur inédite et d'une richesse historique inestimable.
Une découverte exceptionnelle
L'histoire de ces pavements débute en 2011 avec un vaste projet d'aménagement du Syndicat mixte pour l'aménagement et la gestion des eaux de l'Aa (SmageAa) visant à limiter les crues de l'Aa près de Saint-Omer. C'est dans ce cadre, en 2014, qu'un diagnostic archéologique mené par la direction de l’archéologie du Pas-de-Calais a mis au jour les fondations de bâtiments datant du second Moyen Âge. En 2015, le Service régional de l’archéologie (SRA) de la DRAC Hauts-de-France a prescrit des fouilles préventives sur le site de 5 000 m² concerné par cette découverte. C'est en creusant que les archéologues de l'INRAP et du Département du Pas-de-Calais ont fait une découverte inattendue et majeure : de grands pavements en terre cuite dans la salle principale, des vestiges passés inaperçus lors du diagnostic initial.
Cette trouvaille, qualifiée en 2016 de « découverte d’importance exceptionnelle » en raison de ses particularités, a permis, sur la base du Code du Patrimoine et par arrêté préfectoral, d'étendre la durée du chantier de fouille et de débloquer les financements nécessaires afin de procéder à la dépose des 9 800 carreaux.
Sans cette qualification rare, ces pavements auraient été irrémédiablement perdus lors de l'aménagement des digues. Un an plus tard, en 2017, les pavements, devenant par leur exhumation propriété de l’État, sont inscrits au titre des Monuments historiques. La DRAC Hauts-de-France a alors choisi de prendre en charge la restauration de l’ensemble et en est devenue la maîtrise d'ouvrage, un cas de figure inhabituel pour ce type de découvertes archéologiques.
Sans cette qualification rare, ces pavements auraient été irrémédiablement perdus lors de l'aménagement des digues. Un an plus tard, en 2017, les pavements, devenant par leur exhumation propriété de l’État, sont inscrits au titre des Monuments historiques. La DRAC Hauts-de-France a alors choisi de prendre en charge la restauration de l’ensemble et en est devenue la maîtrise d'ouvrage, un cas de figure inhabituel pour ce type de découvertes archéologiques.
La "cour lévêque", un trésor médiéval inattendu
Ces pavements proviennent de l'ancienne résidence civile des évêques de Thérouanne, connue sous le nom de « Cour Lévêque », dont la première mention remonte à 1314. Cette résidence épiscopale de campagne avait pour vocation d'être un lieu de vie et de réception prestigieux, mais aussi d'activités pastorales. Si de nombreux pavements médiévaux sont parvenus jusqu’à nous par le biais d’édifices religieux, leur présence dans un bâtiment civil, ayant servi de lieu de vie et de réception prestigieux, est d'une rareté et d'une importance capitale. L'ensemble, d'une surface totale de 197 m², se compose d'un pavement de 144 m² dans la salle d’apparat et d'un autre de 53 m² dans la galerie attenante, ce qui en fait le plus vaste pavement en terre cuite jamais déposé en France [7, 12, 15, 16]. Foulés pendant près de 200 ans avant leur enfouissement, ils ont survécu, offrant un témoignage précieux de l'art médiéval.
Une iconographie riche, reflet d'une époque
Les carreaux de terre cuite glaçurée, typiques de l'époque médiévale avec leurs décors jaunes et verts, révèlent une diversité esthétique surprenante. Près de 39 motifs « historiés » (figuratifs ou narratifs) ont été identifiés, ainsi qu'une trentaine de variations monochromes et géométriques. On y retrouve des lions, des aigles, des poissons, des fleurs de lys, des marguerites, et des chevaliers – ce motif apparaissant plus d’une centaine de fois. Une figure se distingue par son caractère unique : une sirène jouant de la viole à archet, bien que représentée sur des enluminures et sculptures de la même époque. Ces ornements ne sont pas de simples décorations ; ils sont les marqueurs du statut et du pouvoir des évêques, illustrant l'esthétique du gothique rayonnant des 13e et 14e siècles, période à laquelle les pavements de la résidence des évêques de Thérouanne ont été posés. La bichromie et la variété iconographique sont les éléments distinctifs de cette architecture gothique des sols.
Une restauration d'ampleur
La restauration de ces 9 800 carreaux, débutée en 2020 sous la maîtrise d'ouvrage de la DRAC Hauts-de-France, fut un véritable tour de force logistique et technique. La dépose initiale en 2017 a été particulièrement complexe en raison du niveau du sol proche de la nappe phréatique, de la proximité immédiate du cours d'eau de l'Aa et de l'envergure de la surface à déposer, se traduisant par un chantier boueux et régulièrement immergé. Il a fallu des heures de pompage quotidien et la mise en place de systèmes de dérivation de l'eau pour accéder aux pavements, et les carreaux se sont avérés, pour certains, fortement fracturés et désépaissis.
Natacha Frenkel, conservatrice-restauratrice du patrimoine et mandataire de l'atelier Art's du feu, dirige l'équipe pluridisciplinaire chargée de cette tâche colossale depuis cinq ans. Spécialisée dans les céramiques et le verre, elle conjugue rigueur scientifique et gestes artistiques pour redonner vie à ces fragments du passé. La restauration ne se limite pas à sauver des fragments, mais vise à restituer la vision globale d'un sol qui fut l'écrin d'une salle de prestige. Les vastes ateliers du Centre de conservation du Louvre à Liévin ont offert des conditions idéales pour un chantier d'une telle échelle, résolvant une difficulté majeure pour l'équipe.
Le centre de conservation du Louvre, un rôle pivot
Le Centre de conservation du Louvre (CCL) à Liévin, inauguré en 2019, a joué un rôle essentiel dans cette épopée. Initialement conçu pour prémunir les collections nationales du Louvre contre les risques de crue et améliorer leurs conditions de conservation et d'études, le CCL peut également héberger, de manière temporaire et gracieuse, des œuvres de musées régionaux pour des interventions de conservation-restauration ou de stockage. Le CCL a ainsi fourni les conditions optimales pour le traitement et l’assemblage des pavements de Saint-Martin d'Hardighem, accueillant les carreaux après leur passage par Dainville, Elven, Compiègne et Paris. Ce pôle d'excellence, avec le Louvre-Lens et Louvre-Lens Vallée, positionne le territoire comme un laboratoire du développement par la culture et un fer de lance pour la filière des métiers d'art et du patrimoine. C'est un lieu dédié à la conservation, à la recherche et à l'étude, où plus de 3 100 œuvres ont déjà été restaurées dans ses ateliers.
Une immersion gothique au cœur des Hauts-de-France
Les journées européennes du patrimoine : une occasion unique
L'été 2025 marque un tournant majeur avec le début de l'assemblage final du grand pavement de la salle d'apparat. Les Journées européennes du patrimoine 2025 offriront une opportunité exceptionnelle aux habitants des Hauts-de-France et aux visiteurs de tous horizons de découvrir ces pavements restaurés dans toute leur grandeur au Centre de conservation du Louvre à Liévin. Cette ouverture exceptionnelle des portes de l'atelier de restauration, fruit d’une coopération étroite entre le ministère de la Culture et le musée du Louvre, incarne la volonté commune de rendre le patrimoine accessible à tous et de valoriser un chantier de restauration sans précédent.
L'exposition "gothiques" au Louvre-Lens
Cet événement s'inscrit en amont de l'inauguration de l'exposition « Gothiques » au Louvre-Lens. Du 24 septembre 2025 au 26 janvier 2026, cette exposition explorera la polysémie du terme « gothique » qui, depuis le Moyen Âge, est passé de synonyme de lumineux et richement décoré à évocateur de sombre voire macabre. Elle invitera les visiteurs à une immersion complète dans l'esthétique et l'histoire de cette période fascinante. Il est à noter qu'en 2018 déjà, 30 carreaux de la salle d’apparat, restaurés par Laurence Krougly, avaient été exposés au Louvre-Lens lors de l'exposition « Matières du temps », sensibilisant le public à la nécessité de conserver cette belle découverte dans son ensemble.
Un patrimoine toujours en mouvement
Tandis que la restauration de la salle d'apparat est achevée, le chantier se poursuit pour la galerie attenante, dont les pavements, tout aussi spectaculaires par leur enchevêtrement subtil et complexe de formes, feront l'objet d'une restauration jusqu'en 2027. L'ensemble de cette démarche, de la dépose minutieusement documentée à l'analyse archéométrique et matérielle en laboratoire, enrichit considérablement la connaissance archéologique et ouvre de nouvelles perspectives pour la recherche future [9, 51]. Les pavements de Saint-Martin d’Hardighem, porteurs de huit siècles d'histoire et de mémoire, sont désormais prêts à être révélés, témoignant de la richesse inestimable du patrimoine de notre région et de l'excellence des savoir-faire qui le protègent.
La résurrection des pavements gothiques de Saint-Martin d'Hardighem est une prouesse collective qui dépasse la simple restauration. Elle est le symbole de la vitalité de notre patrimoine, de l'engagement de ses acteurs et de la volonté de partager ces trésors avec le plus grand nombre. Une invitation à redécouvrir l'éclat du Moyen Âge, ici, au cœur des Hauts-de-France.