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La prévention des accidents graves et mortels

WEO 03/12/2025 à 15h00
Les accidents du travail continuent de frapper durement la région des Hauts-de-France. Avec 52 220 accidents, dont 85 mortels en 2023, les chiffres révèlent une réalité alarmante. Comment expliquer cette situation ? Quels sont les secteurs les plus touchés ? Et surtout, comment prévenir ces drames ? Plongeons dans les détails avec les témoignages d’experts et de victimes.
 

Des chiffres qui parlent 

En 2023, la région des Hauts-de-France comptait environ 1,6 million de salariés. Parmi eux, 52 220 ont été victimes d’un accident du travail, dont 2 800 graves entraînant une incapacité permanente partielle. Le bilan le plus lourd : 85 accidents mortels. Un coût humain, mais aussi économique, estimé à 747 millions d’euros pour la société.

À ces chiffres s’ajoutent 7 100 accidents de trajet (entre le domicile et le travail) et 5 058 maladies professionnelles reconnues et indemnisées. Des données qui placent la région au-dessus de la moyenne nationale en termes de taux de fréquence d’accidents.

Pourquoi les Hauts-de-France sont-ils plus touchés que les autres régions ?

Selon Caroline Dalloy, ingénieure-conseil à la Carsat Hauts-de-France, ce constat s’explique par le contexte économique régional. Les secteurs les plus exposés sont :

  • La construction (bâtiment, travaux publics)
  • L’industrie
  • L’intérim
  • La santé
  • La logistique
Les causes principales des accidents restent les manutentions manuelles, les chutes de hauteur et les chutes de plain-pied.

Le témoignage de Yannick Carney, victime d’un accident du travail

 Yannick Carney, aujourd’hui militant bénévole à la Fnath (Fédération nationale des accidentés du travail et des handicapés), a été victime d’un grave accident du travail en 1987, à seulement 20 ans. Alors qu’il travaillait dans une cartonnerie, une découpeuse à carton lui est tombée dessus, provoquant des pathologies graves.

« J’ai eu de la chance. Une personne a fait le bon geste au bon moment, et l’employeur a directement appelé une ambulance au lieu des pompiers. »
Malgré cette chance, Yannick a dû faire face à un long parcours de reconstruction, avec un an d’arrêt de travail. Il souligne l’importance de la prévention et des démarches de réinsertion professionnelle, souvent complexes pour les victimes.

« Mon accident aurait pu être évité si les mesures de prévention avaient été respectées. La veille, la personne avait utilisé des élingues. Le jour de l’accident, on m’a dit : Non, non, ça va aller. »

90 % des accidents du travail pourraient être évités : comment ?

Les causes principales des accidents

D’après Max Marat, responsable d’unité de contrôle, DDETS du Nord, 90 % des accidents du travail pourraient être évités. Les principaux manquements observés sont :

  • Un défaut d’évaluation des risques : une entreprise sur deux n’a pas mis à jour son document unique, obligatoire pour recenser les risques professionnels.
  • Une organisation inadaptée : absence de procédures claires, manque de formation.
  • Des équipements inappropriés : machines non conformes, absence de maintenance.
« Un accident du travail n’est pas dû au hasard. C’est un enchaînement de manquements. »

Les obligations de l’employeur

L’obligation de sécurité de l’employeur est inscrite dans le code du travail. Elle est aussi fondamentale que ses obligations contractuelles (rémunération, mise à disposition du travail). Concrètement, l’employeur doit :

  • Évaluer les risques et les consigner dans le document unique.
  • Mettre en place des actions de prévention (formations, équipements de protection).
  • Respecter les principes généraux de prévention (éviter les risques, adapter le travail à l’homme, etc.).
En cas de manquement, les sanctions peuvent être lourdes :

  • Sur le plan civil : majoration des indemnités versées à la victime (jusqu’à plusieurs centaines de milliers d’euros).
  • Sur le plan pénal : jusqu’à 3 ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende en cas de homicide involontaire ou de violation délibérée d’une obligation de sécurité.

Le droit de retrait : un outil méconnu des salariés

Un salarié qui ne se sent pas en sécurité a le droit de retrait. Ce droit lui permet de stopper son travail sans perte de salaire. Pourtant, il est peu utilisé en pratique, en raison :

  • De la pression exercée par l’employeur.
  • D’une culture de la sécurité insuffisante dans certaines entreprises.
Yannick Carney confirme :

« Le droit de retrait existe, mais c’est très compliqué à assumer. Même si la rémunération est maintenue, il y a une pression. »

Prévention dans les entreprises : l’exemple de Sylvagreg 

Une démarche structurée et durable

 Sylvagreg, une entreprise familiale spécialisée dans le gros œuvre, a mis en place une démarche de prévention structurée avec le soutien de la Carsat. A Anthony Mikilajczak, animateur QSE (Qualité, Sécurité, Environnement), explique :

« La prévention, ce n’est pas une action ponctuelle. C’est une démarche durable, avec l’implication de la direction. »

Les « règles d’or » de Sylvagreg 

L’entreprise a défini 5 règles d’or pour assurer la sécurité sur ses chantiers :

  1. Accès sécurisés aux postes de travail.
  2. Ordre et rangement.
  3. Consignes de levage et lingage.
  4. Port des Équipements de Protection Individuelle (EPI).
  5. Prévention des chutes d’eau.
Ces règles sont affichées dans les bases vie et les réfectoires, et expliquées à chaque nouveau compagnon lors d’un accueil sécurité.

« L’objectif, c’est de créer un réflexe prévention, comme mettre sa ceinture en voiture. »

Le rôle clé des organismes de prévention

La Carsat : accompagner les entreprises et les salariés

La Carsat Hauts-de-France accompagne les entreprises dans leur démarche de prévention. Ses missions :

  • Analyser les risques (exposition aux produits chimiques, poussières, etc.).
  • Former les dirigeants, animateurs et salariés.
  • Proposer des aides financières pour la mise en place de plans de prévention.
En cas de manquement, la Carsat peut émettre des injonctions et vérifier leur application. Si l’entreprise ne réagit pas, elle risque une augmentation de son taux de cotisation.


La MSA : la prévention dans le monde agricole

Le secteur agricole n’est pas en reste. La MSA (Mutualité Sociale Agricole) propose des accompagnements sur mesure pour les professionnels du milieu. Exemple : Picardie Récolte, une entreprise de 70 salariés, a équipé ses engins agricoles de caméras de recul dopées à l’IA pour limiter les angles morts, responsables de 40 % des accidents dans la région entre 2019 et 2023.


Que faire en cas d’accident du travail ?

Les démarches pour les victimes

En cas d’accident, plusieurs interlocuteurs peuvent accompagner les victimes :

  • La Direccte : mène des enquêtes pour identifier les causes et les responsabilités.
  • La Carsat : oriente les victimes vers leurs droits et les procédures d’indemnisation.
  • La Fnath : conseille, renseigne et défend les victimes (ex. : constitution de partie civile en cas de faute inexcusable de l’employeur).

La réinsertion professionnelle : un parcours semé d’embûches

Yannick Carnet le confirme : la réinsertion professionnelle après un accident du travail est souvent difficile, surtout pour les jeunes travailleurs. 22 % des victimes en 2024 avaient moins d’un an d’ancienneté.

« La prévention, c’est aussi adapter la formation des jeunes et des débutants. »

Comment agir au quotidien pour réduire les risques ?

Pour les employeurs

  • Mettre à jour le document unique (obligatoire).
  • Former les salariés aux risques et aux gestes de sécurité.
  • Impliquer la direction dans la démarche de prévention.
  • Équiper les postes de travail avec du matériel adapté.
  • Analyser les accidents pour éviter qu’ils ne se reproduisent.

Pour les salariés

  • Respecter les consignes de sécurité.
  • Signaler les situations dangereuses.
  • Utiliser le droit de retrait en cas de danger grave.
  • Participer aux formations proposées par l’employeur.
  • Veiller sur ses collègues (fatigue, manque d’attention).

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